jeudi 23 août 2012

Une histoire dite par un idiot mise en scène par Christophe Piret


Bande à part

Sur un plateau de tournage, réalisateur, comédiens et techniciens s’affairent : la journée s’annonce chargée avec plusieurs scènes à filmer, plans et séquences d’un film en chantier auquel nous, spectateurs de théâtre, assistons et où nous assemblons les éléments épars d’un puzzle narratif et sentimental. Soit l’ouverture d’un émouvant spectacle, à la fois modeste dans son artisanat et ambitieux dans sa forme, qui tisse de surprenants allers-retours entre le cinéma et le théâtre - sans que jamais ce rapprochement ne soit artificiel – et, surtout, qui entrecroise les bribes de vie de personnages attachants avec nos propres existences que l’on rêverait aussi intenses parfois que celles dévoilées sous nos yeux.

Avec la complicité de ses comédiens, chanteurs et musiciens, Christophe Piret distille au long de la pièce des fragments de sensation, des blocs d’émotion, des lambeaux de fiction esquissant des personnages inspirés par la propre vie de ceux qui les interprètent. Le metteur en scène trace ainsi des lignes de fuite et des intersections entre confessions et inventions, entre confidences et fulgurances, où se glisse le spectateur qui, happé par ce passionnant chaos, tente de s’inventer son propre film, de se projeter dans l’histoire qui se joue devant lui, infiniment troublé par le regard d’Emmanuelle Destremau ou profondément touché par le visage de Thierry Dupont capté par une caméra aimantée. Bouleversé encore par une chorégraphie du même comédien - sur des sonorités rock joliment concoctées par Benjamin Delvalle - où passe une énergie proche de celle qui portait Denis Lavant dans Boy meets girl de Leos Carax.

 
Vérité et mensonge

Dans un beau paradoxe, entre vérité et mensonge, les artifices du cinéma sécrètent ici une émotion théâtrale mais la mise en scène ne surligne jamais cet émoi qui nous saisit et s’attache à trouver le rythme idoine pour chaque scène. De même, si Fanny Derrier, derrière la caméra, signe de superbes images en noir et blanc (tel ce gros plan sur Thierry Dupont où la pluie inonde son visage tandis que les mots se déversent sur lui), ce n’est pas juste une image mais toujours une image juste en osmose avec l’atmosphère d’une scène ou la tonalité d’une séquence qui réveille nos souvenirs de cinéphile au détour d’un hommage à La Dame de Shanghai d’Orson Welles ou d’une référence aux Ailes du désir de Wim Wenders.

Si des trouées oniriques ou absurdes perforent la pénombre du plateau (dont un défilé de majorettes à vitesse réelle et au ralenti !), la nostalgie s’invite elle aussi au bal avec les souvenirs russes d’Elena Harvier-Zhilova qui se rêvait en Milady dans Les Trois mousquetaires ou le réel se rappelle brutalement à nous lorsque la même comédienne évoque les manifestations anti-Poutine à Moscou. Avant que ne s’achève cette Histoire sur un simulacre d’accident, clin d’oeil au Mépris de Jean-Luc Godard, où la caméra filme les corps inertes sur ou sous la 2CV tandis que tombe la neige artificielle en un geste poétique risqué mais parfaitement assumé. Magnifié par des comédiens qui habitent magistralement le “vide du plateau”, ce superbe spectacle entrelace vies chimériques, rêves étoilés et réminiscences cinématographiques dans notre imaginaire de spectateur en quête d’indicibles émotions.


Représentation le 28 août à 20h45 à l'Espace Montrichard à Pont-à-Mousson dans le cadre du festival La Mousson d'été. Renseignements et réservations au 03 83 81 20 22 ou sur www.meec.org