Surtout, et avec le cœur qui s’accélère en y songeant, trois comédiens sidérants, bien au-delà des pauvres superlatifs que le langage nous confie. Pascal Greggory, intense dans Ordet mis en scène par Arthur Nauzyciel, homme debout parmi les mortels qui ploient, et dont la parole tisse l’étoffe d’un vêtement délicat et rude à la fois. Un fauve du plateau prêt à dévorer la moindre miette de mots qui s’offre à lui mais, en même temps, généreux et à l’écoute de ceux avec qui il croise le fer d’une langue musicale (belle partition de Marie Darrieussecq d’après la pièce de Kaj Munk) qui palpite sans cérémonie.

Hamlet
Puis Lars Eidinger, monumental dans Hamlet mis en scène par Thomas Ostermeier, qui fracasse et rudoie son personnage pour le conduire sur des territoires inconnus, là où peu osent s’aventurer. Circulant entre folie gangrenée, pragmatisme insensé, égoïsme forcené et exhibitionnisme assumée, la Cour d’honneur du Palais des Papes semble presque exigüe pour ce monstre insatiable qui charge l’air d’une atmosphère électrique où chacun peut subir les foudres de sa colère amère…
Partage de midi
Nicolas Bouchaud enfin, immense dans Partage de midi, joue et métamorphose Amalric, ancien amant d’Ysé en abandon à l’autre bout du monde. Empoignant la langue (sublime, et le mot est faible) de Claudel avec l’avidité d’un mort-de-faim, il ne rajoute pas de poésie dans une pièce qui en est totalement imprégnée mais, au contraire, conjugue sur le plateau de la Carrière Boulbon la fluidité et la force d’attraction d’un texte pensé comme une matière vivante qu’il faut modeler et pétrir. En osmose avec ses compagnons de jeu (l’incandescente Valérie Dréville et l’imprévisible Jean-François Sivadier), Nicolas Bouchaud tutoie alors les étoiles qui brillent dans un ciel sans nuages. Soit trois prédateurs que le spectateur quitte à regret, impatient de les retrouver plus tard sous les projecteurs des salles hexagonales…

Partage de midi
Partage de midi et Hamlet © Photo Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon