En compagnie des hommes

Ce spectacle au long cours (plus de cinq heures), mis en scène par Stanislas Nordey, réunit plusieurs textes de Falk Richter, auteur allemand qui empoigne le monde comme peu de dramaturges le font. Dans la première partie, le plateau devient ainsi une tribune où la politique étrangère américaine est passée au tamis des imprécations, interrogations et doutes de personnages hétéroclites allant d’un pilote de bombardier au-dessus de l’Irak jusqu’à sa famille vivant au fin fond de l’Utah en passant par un terroriste en stand-by dans un aéroport, voire Falk Richter lui-même se mettant en scène à travers son questionnement sur les fins d’une écriture corrosive en prise directe avec les soubresauts de l’histoire contemporaine. «Comment résister ?». Cette question traverse le spectacle et, si l’auteur se garde bien de donner des réponses prémâchées, il enfonce souvent des portes ouvertes en érigeant un discours obsessionnel où se croisent le politique et le messianique, la terreur et le terrorisme, le slogan et le cri de révolte, la propagande et la théorie du complot, selon le camp que l’on a choisi car, comme l’assène l’un des tribuns, «qui n’est pas pour nous est contre nous». Une vision univoque, proche de l’hystérie, qui jette en pâture les comédiens à des spectateurs assez vite lassés par cette dictature du politique sur l’esthétique, alors que les deux paradigmes sont loin d’être incompatibles…
La dernière partie du spectacle se révèle heureusement beaucoup plus passionnante et montre combien l’écriture de Falk Richter peut nous parler du monde sans verser dans la caricature. Unter Eis met ainsi en scène trois cadres d’une multinationale dont les soliloques dialoguent, se percutent et s’entremêlent pour accoucher d’une effrayante vision de notre monde globalisé abandonné aux lois du marché. «Comment fonctionne le système ?». Les deux protagonistes les plus jeunes répondent à cette interrogation à travers le bréviaire efficient du cadre ultra-motivé, professant leur foi en un progrès économique radieux où l’entreprise serait enfin débarrassée de sa moins-value : l’homme. Un discours à peine cynique tant il génère un réalisme terrifiant très peu éloigné d’un monde livré aux logiques du profit. Le plus âgé d’entre eux, un homme sentant venir la chute, son lent effacement avant d’être expulsé du système, raconte lui son enfance entre une mère «égarée» et un père «absent», mais aussi sa morne existence de consultant, toujours entre deux avions, à travers des fragments personnels où se disputent le pathétique au pitoyable. Un homme dépossédé de lui-même, simple rouage d’un moloch qui ingurgite, broie et recrache les serviteurs qui l’engraisse. Un «Mr Nobody» qui attend désormais de finir pétrifié sous la glace…
Jusqu’au 20 août à 15h, salle Benoît XII.
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