
En retrouvant les plateaux de théâtre, le cinéaste Christophe Honoré s'est approprié le texte de Victor Hugo comme un scénario dont il a respecté la trame mais, surtout, dont il s'est éloigné afin de laisser souffler un vent de liberté sur scène. Laquelle devient ainsi un studio de cinéma, un plateau de tournage, où il importe de capter les pulsations du texte porté par les vibrations des comédiens. L'intelligente scénographie imaginée favorise donc une multiplicité des regards où l'oeil du spectateur compose plans d'ensemble ou gros plans selon son désir propre. Un espace ouvert avec deux décors coulissants (le boudoir de Tisbe et la chambre de Catarina) et, autour, des structures métalliques, accessibles par des escaliers, sur lesquelles évoluent les personnages selon les nécessités de la mise en scène. Un dispositif qui s'apparente au plan large cinématographique où chacun peut se focaliser sur un dialogue, un déplacement ou une scène muette dans l'ombre. Le spectateur ainsi affranchi d'une vision unilatérale se concocte un montage par lequel son regard serait la caméra qui le plongerait au coeur du drame ou à la périphérie parfois hilarante de l'intrigue (le jeu et la gestuelle des deux sbires d'Angelo à l'arrière-plan). Une approche cinématographique parfois référentielle (un dialogue recouvert de musique comme chez Godard ou les nappes mélodiques de Bernard Hermann pour Taxi Driver lors du meurtre d'Homodei) qui culminera avec la projection d'un petit film (où Catarina et Rodolfo n'ont plus rien à se dire...) en guise de conclusion désenchantée au drame hugolien.
Et le théâtre dans tout cela ? Dans le jeu des comédiens naturellement : parfois outré, tantôt sobre selon les variations dessinées par Hugo dans ce mélodrame romantique aux boursouflures textuelles récurrentes. Clotilde Hesme joue à la perfection La Tisbe, comédienne qui minaude ou hystérise mais demeure consumée par son amour pour Rodolfo (Hervé Lassïnce sans aspérités) ; Emmanuelle Devos semble partagée entre sa sobriété naturelle et le lyrisme affecté de son personnage ; Marcial di Fonzo Bo se glisse à merveille dans les habits du tyran de Padou, lui donnant une légèreté idoine malgré la grossièreté du personnage ; Anaïs Demoustier parvenant quant à elle à exister malgré un personnage assez terne. Mais la vraie révélation de la pièce est sans nul doute Julien Honoré qui campe avec jubilation Homodei, espion à la solde de Venise, manipulateur cynique et séducteur à ses heures, dont l'interprétation teintée d'ironie fait mouche. Au final, Angelo est un très bel objet théâtral dont le maniérisme assumé séduit ou agace mais ne peut laisser indifférent tant les couleurs, lignes et formes tissent un ensemble cohérent aux atmosphères paradoxales.
Jusqu'au 27 juillet au festival d'Avignon puis en tournée en France à partir du 12 janvier 2010.