Dialogues d'outre-tombe
Adaptation du roman éponyme de l'auteur espagnol Carlos Eugenio Lopez, La Balade des noyés est un road-movie absurde et hiératique où deux tueurs trimballent un mort dans le coffre de leur décapotable. Une traversée déjantée entre Manche et Andalousie durant laquelle ces paumés à la logorrhée inépuisable déclenchent l'hilarité ou nous glacent le sang. Une pièce à découvrir lors du festival Off d'Avignon.
Assoupis sur les sièges d'une voiture inondée par une lumière blafarde, un jeune homme et un comparse plus âgé se reposent avant de reprendre la route. A moins qu'ils ne soient morts... comme le cadavre de cet immigré clandestin gisant dans le coffre, dernier numéro d'une sordide liste de 29 sacrifiés sur l'autel du crime organisé et raciste maquillé en noyade accidentelle (ils plongent leur victime dans une baignoire d'eau salée avant de jeter le corps dans la mer). Une besogne ordinaire pour eux - "faut faire le boulot, un point c'est tout" - qui les oblige à faire des allers-retours entre Madrid et Gibraltar et durant lesquels ils ergotent, pérorent ou ratiocinent sur tout et rien. Des vertus guerrières d'Alexandre le Grand aux atours des "pétasses" (le machisme est le moindre de leurs défauts...) en passant par le foot, la soupe ou la folie.
Un périple absurde et infernal
Pragmatiques, périphériques ou philosophiques, leurs conversations collent au bitume ou empruntent des chemins de traverse mais dévoilent d'abord deux personnages déconnectés de toute morale où le cynisme du plus vieux heurte les interrogations de son partenaire. Deux tueurs à sang froid où le premier, nihiliste sans tabou ni état d'âme, dissimule ses velléités d'écriture poétique tandis que le second n'a de cesse de vouloir trouver des réponses à ses questions, qu'elles soient futiles ou métaphysiques. Cousins ibères des ploucs croisés dans les films des frères Coen ou duo hilarant dont les dialogues frayent sur des chemins arpentés par Quentin Tarantino ou Michel Audiard (notamment lors de la conversation sur les cons), ces acolytes agissent aussi comme les poils à gratter de la bonne conscience occidentale, n'hésitant pas à l'occasion de forer dans les plaies purulentes de nos sociétés volontiers aveugles lorsqu'elles se révèlent incapables de déchiffrer un problème...
Baignée par la musique cinématique de Bruno Soulier qui oscille entre impressionnisme, onirisme et tumultes selon le climat de la séquence, la mise en scène d'Eva Vallejo épouse les contours d'un périple absurde et infernal où les protagonistes (magnifiquement interprétés par Pascal Martin Granel et Sébastien Amblard) roulent à tombeau ouvert vers le néant ou dérivent lentement vers les abîmes tandis que l'humour noir métamorphose le rire en effroi...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire