Confessions d'une enfant du XXe siècle
Il est rare qu'un spectacle vous subjugue autant par son étrange et subtile alchimie, vous emporte dans des contrées inexplorées, puis vous abandonne, hagard mais heureux, dans l'étoffe de vos rêves nocturnes. L'un de ces moments précieux où chacun partage le sentiment ineffable d'avoir vécu en osmose avec une troupe d'acteurs. La certitude enfin d'avoir touché au plus près une certaine vérité de l'âme humaine et respiré les parfums enivrants de la vie, empli des torrents d'amour qui envahirent la scène par une douce nuit d'été lors du festival d'Avignon en 2004.
Mirage de la vie
Jouée dans le monde entier depuis, reprise ces jours-ci au théâtre Le Monfort à Paris, cette pièce hypnotique est signée du metteur en scène et chorégraphe flamand Jan Lauwers qui, depuis plus de 20 ans à la tête de la Needcompany, explore et repousse les frontières de la danse et du théâtre. Avec La Chambre d'Isabella, il a créé une tragi-comédie musicale traversant le XXe siècle en puisant dans la malle à souvenirs d'un père disparu, collectionneur invétéré d'objets archéologiques qui lui légua plus de 4 000 pièces inestimables.
A partir de ce matériau familial, il a imaginé un spectacle centré autour d'Isabella, femme aveugle d'un âge respectable (incarné par la géniale Viviane De Muynck) qui vit une solitude peuplée de souvenirs heureux ou douloureux, de mensonges assumés et de fantasmes marqués du sceau du désir. Soit la plongée impudique d'une femme dans un siècle effroyable (Hiroshima, le colonialisme) mais d'une richesse artistique sidérante (les ombres de Joyce ou Picasso traversent le plateau) alors que dansent et rôdent autour d'elle anges et spectres, vivants et fantômes, enfants et amants dans une sarabande effrénée.
Oscillant entre théâtre intime, comédie musicale et transe chorégraphique, ce happening surgi de nulle part nous assène uppercut cinglant et caresse délicate, parfois dans la même séquence, avec une énergie contagieuse et un tempo idoine où le sublime côtoie l'anecdote, la tragédie croise la télé-réalité.
Un théâtre total, d'une liberté folle et d'une fluidité insensée, dont la déflagration culmine avec l'enterrement de Frank, le grand amour d'Isabella avec Alexander, nappé du «Rock'n'roll suicide» de David Bowie. Le climax d'une fantaisie chimérique, drôle et grave, légère et profonde, qui s'achève comme elle a commencé : en chanson avec un «We just go on» dont la lancinante mélodie vous accompagne longtemps après le crépuscule de ce spectacle mémorable...
Représentations du 24 au 28 et 31 juillet, du 1er au 4 août au théâtre Le Monfort, 106 rue Brancion à Paris (15e). Réservations au 01 56 08 33 88.
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