mercredi 6 novembre 2013

L’Avare mis en scène par Ivo Van Hove



Violence des échanges en milieu familial

Créé en septembre 2011 à Amsterdam, L’Avare vu par Ivo Van Hove se métamorphose en un cruel et désenchanté portrait de famille où les sentiments paternels et filiaux sont pervertis par l’argent. Sous le regard acéré du metteur en scène flamand, la pièce de Molière revêt les atours d’un drame contemporain où le rire serait le masque d’un profond désespoir. Un spectacle grinçant magnifié par des comédiens exceptionnels.

 
© Jan Versweyveld
Dans la pénombre d’une maison encore silencieuse avant la tempête qui s’annonce, un couple dort dans un lit défait. Autour d’une cage d’ascenseur, s’articulent salon, bureau, cuisine et chambres où aucune intimité ne peut s’immiscer ; un “open space” familial troublant qui semble avoir été conçu comme un espace de surveillance où personne ne pourrait échapper au regard du maître des lieux. Alors que s’éveillent Elise et Valère (la première joue machinalement à un jeu vidéo tandis que le second consulte ses mails), le spectateur découvre un champ de bataille domestique jonché de bouteilles vides et de détritus divers, saturé d’écrans de télé, d’ordinateurs connectés et de portables allumés, signes ostentatoires d’un luxe caché mais, surtout, symptômes matériels fédérant cette famille éclatée où la parole est inféodée à l’argent.
Une soumission volontaire suscitée et encouragée par un père tyrannique, satrape domestique agrippé à son obsession maladive : accumuler les richesses. Consultant ses comptes sur son portable, scrutant les indices boursiers qui défilent sur Bloomberg TV, organisant les dépenses au plus juste, Harpagon (Hans Kesting, sidérant d’intensité) soumet ses enfants à son contrôle permanent, se révélant parfois d’une violence effrayante lorsque son capital est menacé d’affaiblissement. Une famille déchirée par les conflits, régie par l’arbitraire d’un père et rongé par l’égoïsme généralisé où chacun use de stratagèmes retors pour échapper à l’étouffante oppression paternelle.
© Jan Versweyveld

Tour à tour accablés et affalés sur des sofas, usés par tant de luttes intestines, ou ulcérés et irrités comme des fauves en cage, fulminant contre l’aveugle tutelle, Elise et Cléante s’empêtrent dans un psychodrame permanent, ponctué de promesses éphémères et de récriminations irrévocables, de réconciliations passagères et de séparations définitives pour, au final, laisser un père seul, abandonné de tous et honni de chacun, incapable de la moindre concession ni compassion. “J’ai tout perdu” se lamente alors Harpagon, privé de son pécule amassé, donnant à voir la tragédie d’un homme ridicule qu’effleure la tentation du suicide alors qu’il contemple le champ de ruines de son existence au bord du vide...
L’épilogue poignant de cette superbe adaptation contemporaine d’un classique où les ruptures de rythme épousent les fractures stylistiques, où l’intelligente scénographie de Jan Versweyveld serait le miroir révélateur de la solitude absolue de personnages en proie au vide abyssal de leur vie intérieure. Un spectacle impressionnant, chambre d’écho stupéfiante du chaos familial, magnifié par des comédiens au plus près des failles imperceptibles ou béantes s’insinuant en chacun de nous.
© Jan Versweyveld

Représentations les 7, 8, 9, 14, 15 et 16 novembre, à 20h30 à la Maison des arts de Créteil, 1 place Salvador-Allende. Tél. : 01 45 13 19 19.

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