lundi 4 février 2013

La Vie est un rêve




Ecrit sur du vent

Pièce écrite en 1636 par Pedro Calderón de la Barca, La Vie est un rêve est un authentique chef-d’oeuvre du Siècle d’Or espagnol dont les thèmes intemporels ont traversé les époques et passionné nombre de metteurs en scène. Jacques Vincey affronte ici ce «monstre» et livre une version limpide d’une pièce labyrinthique magnifiée par une troupe de comédiens magnifiques.

Antoine Kahan interprète un Sigismond ambivalent dont l’ambition et l’impétuosité dissimulent des blessures à vif  © Pierre Grosbois

«Avant de naître, tu étais déjà mort». Croupissant à même le sol dans une geôle à l’écart du monde, aux portes du désespoir, Sigismond écoute cette prophétie de la bouche de son visiteur et, dès lors, accepte la sentence : il n’est qu’un fantôme dans la nuit du monde dont la silhouette se découpe sur les murs de sa «caverne». Des chaînes tangibles certes mais surtout une prison intérieure de laquelle il doit s’affranchir afin de se libérer de ses illusions et affronter le monde… mais lequel : celui qu’il rêve ou celui qu’il subit ?
Et «puisqu’on sait que naître et mourir, c’est tout un», ce monde réel ou fantasmé s’incarne dans une pièce où l’alpha et l’oméga se touchent, où l’aube et le crépuscule se rejoignent, où la lumière et les ténèbres fusionnent, laissant Sigismond anéanti, égaré et désemparé face à ce «labyrinthe confus où la raison se perd». Que reste-t-il alors comme refuge bienveillant, comme havre pour se retrouver, sinon de se jeter dans les puissants méandres de l’imaginaire, à la lisière des songes et du cauchemar, car «tout ce qui vit dans le monde vit dans un rêve».
 © Pierre Grosbois
Devenu spectre dans le cortège des ombres peuplant le royaume, Sigismond posera un regard sans illusions sur les chimères qui l’entourent, au premier rang duquel s’avancent le pouvoir et ses leurres, le trône et ses faux-semblants, le sceptre et ses mirages. S’il cède un temps à la furia de ses ressentiments, à la violence de sa vengeance et à l’arbitraire de ses emportements, Sigismond devine bientôt que sa «plus belle victoire» sera de vaincre ses propres démons et de se laisser guider par les vertus du pardon et de la raison. Pour le moins aux yeux du monde car, au plus profond de son être, une voix lui souffle que, quoi qu’il advienne au faîte de la tour – hier prison, aujourd’hui palais–, il lui suffit de s’abandonner dans les limbes du rêve pour qu’il recouvre cette liberté à laquelle il ne veut plus renoncer.
 © Pierre Grosbois
Outre d’avoir su donner à cette pièce complexe aux résonances métaphysiques une très grande clarté – sans l’appauvrir –, il faut reconnaître à Jacques Vincey l’excellence de sa direction d’acteurs dans une troupe où les différences générationnelles s’amalgament en une rare cohérence. Si l’on connaissait déjà l’immense talent de Philippe Morier-Genoud et Philippe Duclos – qui apportent un supplément d’âme à leurs personnages –, le metteur en scène favorise ici l’éclosion de deux talents prometteurs : Estelle Meyer qui compose une Rosaura sensationnelle dont la présence physique s’accorde avec la fureur intérieure, tandis que le remarquable Antoine Kahan interprète un Sigismond ambivalent – et impénétrable in fine –, dont l’ambition et l’impétuosité dissimulent des blessures à vif. Seul bémol à ce très beau spectacle : son absence de fulgurances émotionnelles dans les anfractuosités d’une pièce labyrinthique et d’une scénographie géométrique, comme si l’intention et la raison bridaient les intermittences du cœur…

Représentations du 5 au 13 février au Grand T à Nantes. Puis le 21 février à L’Hexagone, Scène nationale de Meylan, les 28 février et 1er mars au Centre des Bords de Marne, Le Perreux, le 5 mars à Théâtre en Dracénie, Draguignan et les 21 et 22 mars à La Filature, Scène nationale de Mulhouse.

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