mercredi 6 février 2013

Ohne



La métamorphose

Texte contemporain de Dominique Wittorski, Ohne relate l’étrange rencontre entre un employé de l’ANPE débordé et un demandeur d’emploi au langage flottant... Une pièce enracinée dans le réel mais dont les trouées d’humour absurde – et les échos kafkaïens – ouvrent sur un imaginaire teinté d’onirisme où la langue serait le fil d’Ariane du labyrinthe d’une identité égarée.


Bruno Tuchszer et Olivier Menu dans une pièce aux échos kafkaïens (Photo Xavier Cantat)
Dans une agence ANPE (la scénographie utilise habilement les lettres de l’acronyme), un employé (Bruno Tuchszer, dont le personnage passera de la commisération à la perplexité puis à l’hébétement) est en discussion avec un demandeur d’emploi alors qu’un homme s’approche et les interrompt. Contraint d’attendre son tour, il patiente, laisse passer son tour puis, au moment où l’agence ferme, se demande pourquoi il n’a pas été appelé. Compatissant et pragmatique, l’employé le prend en charge malgré tout mais les deux hommes ne se comprennent pas : aucun formulaire ne peut prendre en compte la situation de cet individu. D’autant que ce dernier parle un langage échappant à toute tentative coercitive mais qui, néanmoins, renvoie l’employé au fonctionnement absurde de son administration, ou pour le moins aux questions parfois décalées de ses formulaires d’inscription (impossible de faire rentrer tout le monde dans des cases !).
Soit les prémices d’une histoire qui, par trois fois, va se répéter selon un même rituel mais avec des tonalités bien différentes car le protagoniste en quête de travail (son graal prosaïque) est interprété par trois comédiens à trois âges différents : jeune, adulte et vieux (respectivement Christophe Carassou, Olivier Menu et Philippe Peltier). Ainsi, la pièce sécrète trois couleurs contrastées où tout est lié aux trois âges de la vie : chacune dévoilant un homme avec son langage singulier (dans le premier, le personnage n’utilise pas de sujet, dans le deuxième, il parle sans verbe et dans le dernier, il ne prononce que des sujets et des verbes), sa vision sur le monde ou son propre désir sur une vie naissante ou finissante…
Cependant, in fine, c’est l’histoire d’un homme qui va dérégler une machine pas si bien huilée que cela. Soit un corps en déséquilibre – toujours au bord de la chute – qui, telle une boule dans un jeu de quilles, renverse tout sur son passage : a priori, certitudes et préjugés. Un individu sans argent et sans travail (ohne signifie «sans» en allemand) mais pas un homme sans qualités car, avec sa langue comme arme de destruction massive, il oblige l’autre (l’employé ou le spectateur) à changer son regard sur la métamorphose d’un homme bien plus complexe que de prime abord et bien moins insensé que le système qui ne peut l’absorber. Nonobstant les chorégraphies inutiles servant d’intermèdes entre les trois tableaux de la pièce, Ohne est un spectacle finement mis en scène par Vincent Dhelin et Olivier Menu où la langue serait le personnage principal et le détonateur de la mutation d’une société où travail n’est plus une valeur refuge.

Représentation le 8 février à 20h30 au Centre culturel Jean Ferrat d’Avion.

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