La métamorphose
Texte
contemporain de Dominique Wittorski, Ohne
relate l’étrange rencontre entre un employé de l’ANPE débordé et un demandeur
d’emploi au langage flottant... Une pièce enracinée dans le réel mais dont les
trouées d’humour absurde – et les échos kafkaïens – ouvrent sur un imaginaire teinté
d’onirisme où la langue serait le fil d’Ariane du labyrinthe d’une identité égarée.
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Bruno
Tuchszer et Olivier Menu dans une pièce aux échos kafkaïens (Photo Xavier Cantat)
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Dans
une agence ANPE (la scénographie utilise habilement les lettres de l’acronyme),
un employé (Bruno Tuchszer, dont le personnage passera de la commisération à la
perplexité puis à l’hébétement) est en discussion avec un demandeur d’emploi
alors qu’un homme s’approche et les interrompt. Contraint d’attendre son tour,
il patiente, laisse passer son tour puis, au moment où l’agence ferme, se
demande pourquoi il n’a pas été appelé. Compatissant et pragmatique, l’employé
le prend en charge malgré tout mais les deux hommes ne se comprennent pas :
aucun formulaire ne peut prendre en compte la situation de cet individu.
D’autant que ce dernier parle un langage échappant à toute tentative coercitive
mais qui, néanmoins, renvoie l’employé au fonctionnement absurde de son
administration, ou pour le moins aux questions parfois décalées de ses
formulaires d’inscription (impossible de faire rentrer tout le monde dans des
cases !).
Soit
les prémices d’une histoire qui, par trois fois, va se répéter selon un même
rituel mais avec des tonalités bien différentes car le protagoniste en quête de
travail (son graal prosaïque) est interprété par trois comédiens à trois âges
différents : jeune, adulte et vieux (respectivement Christophe Carassou,
Olivier Menu et Philippe Peltier). Ainsi, la pièce sécrète trois couleurs
contrastées où tout est lié aux trois âges de la vie : chacune dévoilant un
homme avec son langage singulier (dans le premier, le personnage n’utilise pas
de sujet, dans le deuxième, il parle sans verbe et dans le dernier, il ne
prononce que des sujets et des verbes), sa vision sur le monde ou son propre
désir sur une vie naissante ou finissante…
Cependant,
in fine, c’est l’histoire d’un homme
qui va dérégler une machine pas si bien huilée que cela. Soit un corps en
déséquilibre – toujours au bord de la chute – qui, telle une boule dans un jeu
de quilles, renverse tout sur son passage : a priori, certitudes et préjugés. Un individu sans argent et sans
travail (ohne signifie «sans» en
allemand) mais pas un homme sans qualités car, avec sa langue comme arme de
destruction massive, il oblige l’autre (l’employé ou le spectateur) à changer
son regard sur la métamorphose d’un homme bien plus complexe que de prime abord
et bien moins insensé que le système qui ne peut l’absorber. Nonobstant les
chorégraphies inutiles servant d’intermèdes entre les trois tableaux de la
pièce, Ohne est un spectacle finement
mis en scène par Vincent Dhelin et Olivier Menu où la langue serait le
personnage principal et le détonateur de la mutation d’une société où travail
n’est plus une valeur refuge.
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