Le déclin de l’empire occidental
Adaptation libre
et fidèle du roman éponyme de Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires est probablement l’une des plus belles propositions
vues sur un plateau de théâtre ces dernières années.
«Raconter l’histoire d’une espèce qui
commence à comprendre comment elle est faite, et à jouer avec sa propre
construction, c’est encore plus flatteur pour l’humanité : regardez
combien nous sommes déterminés, passionnés, pour avoir dévoilé tous ces
processus, et regardez à quel point nous devrions être effrayés d’en être
arrivés là.» Richard Powers
«Retracer la fin de l’ancien règne» d’un
monde dont le crépuscule se dessina à l’aube des années 2000, puis
ébaucher les prémices d’une post-humanité : telle est l’ambition du narrateur
des Particules élémentaires, reprise
avec une convaincante audace par Julien Gosselin dans ce spectacle qui devrait
réconcilier partisans du théâtre de texte et adeptes de l’éclatement des formes
théâtrales.
Julien
Gosselin n’élude ainsi aucun des thèmes abordés dans le roman, comme celui
de la misère sexuelle née de la libération des années 1970 où Houellebecq esquisse
avec une justesse confondante les liens entre ultralibéralisme économique et
vie sexuelle soumise aux lois du marché. Une époque où l’individu
est inféodé à l’abondance de la chair disponible sur le marché de la
jouissance programmée ou assujetti à ses désirs frustrés.
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© Simon Gosselin |
Un
spectacle d’une belle impureté cheminant entre mélancolie des sentiments et
froideur du discours scientifique, circulant avec finesse entre compassion et
férocité à l’image du regard de Houellebecq sur le monde. Un théâtre où le
désespoir est palpable : «en
définitive, la vie vous brise le cœur» dit l’un de ces personnages plongés
dans une époque où «plus personne ne
savait comment vivre». Empreintes parfois d’une grande douceur, tantôt traversées
d’une extrême violence (le début de la seconde partie avec le personnage de David
Meula adepte de Charles Manson), nappées d’un humour subtil ou frontal, ces Particules élémentaires dessinent la fin
du XXe siècle – une éternité à l’échelle du numérique galopant – mais nous
parlent aussi du monde d’aujourd’hui.
Si
ces Particules revêtent les atours
d’un théâtre romanesque à travers son texte polyphonique – Michel Houellebecq
est un admirateur de la Comédie humaine
balzacienne – Julien Gosselin s’en éloigne, sans surenchère formelle, en
signant une œuvre protéiforme où les corps, la matière sonore, la vidéo et le
montage des séquences (il coupe toujours au moment idoine) participent à la
dynamique d’une représentation sécrétant une renversante énergie qui percute le
spectateur et l’emmène dans les sphères les plus ardues du récit. De plus, Guillaume
Bachelé signe une musique hypnotique et intense dont les couleurs épousent ou
révèlent les atmosphères contrastées déclinées par la pièce. Sans oublier
quelques judicieuses reprises en osmose avec l’époque dépeinte comme l’inusable
«A Whiter Shade of Pale» de Procol Harum.
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© Simon Gosselin |
Enfin,
la beauté de ce spectacle doit beaucoup à de magnifiques comédiens dont le jeu
est à la hauteur de la définition qu’en donne Jan Lauwers : «Pour moi un acteur est un performeur qui
présente un personnage tout en étant lui-même. Il doit être capable d’en donner
différentes couleurs, différentes nuances». Mention spéciale à Victoria
Quesnel composant une émouvante Annabelle, Noémie Gantier au plus près des
incertitudes du désir et du cœur de Christiane, Caroline Mounier hilarante en animatrice
du camping alternatif, Denis Eyriey qui joue un sidérant Michel Houellebecq sans
le cloner, et Alexandre Lecroc qui pianote avec une touchante justesse sur la
gamme des sentiments traversant Bruno. Une formidable troupe magnifiant un
spectacle en osmose avec son époque.
Représentations
les 11, 12 et 13 juillet à 15h au festival d’Avignon, salle de Vedène. Puis du
8 au 16 novembre au Théâtre du Nord à Lille, les 20 et 21 novembre au Théâtre
de Vanves, le 8 avril 2014 au Théâtre de Soissons, du 15 au 18 avril 2014 à la
Rose des Vents à Villeneuve d’Ascq et en novembre 2014 au Phénix de
Valenciennes.
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