mardi 9 juillet 2013

Les Particules élémentaires d’après Michel Houellebecq


Le déclin de l’empire occidental

Adaptation libre et fidèle du roman éponyme de Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires est probablement l’une des plus belles propositions vues sur un plateau de théâtre ces dernières années.

«Raconter l’histoire d’une espèce qui commence à comprendre comment elle est faite, et à jouer avec sa propre construction, c’est encore plus flatteur pour l’humanité : regardez combien nous sommes déterminés, passionnés, pour avoir dévoilé tous ces processus, et regardez à quel point nous devrions être effrayés d’en être arrivés là.» Richard Powers
© Simon Gosselin

«Retracer la fin de l’ancien règne» d’un monde dont le crépuscule se dessina à l’aube des années 2000, puis ébaucher les prémices d’une post-humanité : telle est l’ambition du narrateur des Particules élémentaires, reprise avec une convaincante audace par Julien Gosselin dans ce spectacle qui devrait réconcilier partisans du théâtre de texte et adeptes de l’éclatement des formes théâtrales.
Julien Gosselin n’élude ainsi aucun des thèmes abordés dans le roman, comme celui de la misère sexuelle née de la libération des années 1970 où Houellebecq esquisse avec une justesse confondante les liens entre ultralibéralisme économique et vie sexuelle soumise aux lois du marché. Une époque où l’individu est inféodé à l’abondance de la chair disponible sur le marché de la jouissance programmée ou assujetti à ses désirs frustrés.
© Simon Gosselin
Un spectacle d’une belle impureté cheminant entre mélancolie des sentiments et froideur du discours scientifique, circulant avec finesse entre compassion et férocité à l’image du regard de Houellebecq sur le monde. Un théâtre où le désespoir est palpable : «en définitive, la vie vous brise le cœur» dit l’un de ces personnages plongés dans une époque où «plus personne ne savait comment vivre». Empreintes parfois d’une grande douceur, tantôt traversées d’une extrême violence (le début de la seconde partie avec le personnage de David Meula adepte de Charles Manson), nappées d’un humour subtil ou frontal, ces Particules élémentaires dessinent la fin du XXe siècle – une éternité à l’échelle du numérique galopant – mais nous parlent aussi du monde d’aujourd’hui.
Si ces Particules revêtent les atours d’un théâtre romanesque à travers son texte polyphonique – Michel Houellebecq est un admirateur de la Comédie humaine balzacienne – Julien Gosselin s’en éloigne, sans surenchère formelle, en signant une œuvre protéiforme où les corps, la matière sonore, la vidéo et le montage des séquences (il coupe toujours au moment idoine) participent à la dynamique d’une représentation sécrétant une renversante énergie qui percute le spectateur et l’emmène dans les sphères les plus ardues du récit. De plus, Guillaume Bachelé signe une musique hypnotique et intense dont les couleurs épousent ou révèlent les atmosphères contrastées déclinées par la pièce. Sans oublier quelques judicieuses reprises en osmose avec l’époque dépeinte comme l’inusable «A Whiter Shade of Pale» de Procol Harum.
© Simon Gosselin
Enfin, la beauté de ce spectacle doit beaucoup à de magnifiques comédiens dont le jeu est à la hauteur de la définition qu’en donne Jan Lauwers : «Pour moi un acteur est un performeur qui présente un personnage tout en étant lui-même. Il doit être capable d’en donner différentes couleurs, différentes nuances». Mention spéciale à Victoria Quesnel composant une émouvante Annabelle, Noémie Gantier au plus près des incertitudes du désir et du cœur de Christiane, Caroline Mounier hilarante en animatrice du camping alternatif, Denis Eyriey qui joue un sidérant Michel Houellebecq sans le cloner, et Alexandre Lecroc qui pianote avec une touchante justesse sur la gamme des sentiments traversant Bruno. Une formidable troupe magnifiant un spectacle en osmose avec son époque.

Représentations les 11, 12 et 13 juillet à 15h au festival d’Avignon, salle de Vedène. Puis du 8 au 16 novembre au Théâtre du Nord à Lille, les 20 et 21 novembre au Théâtre de Vanves, le 8 avril 2014 au Théâtre de Soissons, du 15 au 18 avril 2014 à la Rose des Vents à Villeneuve d’Ascq et en novembre 2014 au Phénix de Valenciennes.

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