lundi 8 juillet 2013

Place du marché 76 de Jan Lauwers


Crimes et châtiments

Après La Chambre d’Isabella (2004), Le Bazar du homard (2006) et La Maison des cerfs (2009), le festival d’Avignon présente la dernière création de Jan Lauwers, Place du marché 76, née de ses inquiétudes et indignations au regard d’une Europe occidentale tentée par le repli identitaire. Un spectacle d’une noirceur surprenante mais traversé d’une foi humaniste contagieuse.

© Wonge Bergmann


Articulé en quatre actes comme autant de saisons rythmées par une couleur musicale différente, Place du marché 76 raconte l'histoire d'un village endeuillé par une explosion tragique sur la place du marché, provoquant la mort de 24 personnes dont plusieurs enfants. Une communauté percutée par le deuil et le chagrin mais qui devra affronter plus tard d’autres épreuves – l’inceste et l’enlèvement, la pédophilie ou le suicide – et tentera de continuer à vivre, après une tumultueuse tentative de psychanalyse collective où la parole se libère et peut détruire.

Une tragédie musicale
Le metteur en scène flamand aborde ainsi les questions sensibles de la souffrance après une tragique disparition mais aussi celle du vivre-ensemble et des conséquences indicibles du traumatisme au sein d’une communauté. Une fable féroce, parfois drôle, où l’artiste s’interroge et nous tend le miroir de ses doutes et colères. Qu’est-ce qu’un châtiment qui ne guérit pas les blessures ? semble nous demander ainsi Jan Lauwers alors qu’un homme s’est noyé dans la fontaine sous le regard indifférent des villageois. Une soif de vengeance où se dessine en creux le pardon impossible d’une petite société apeurée, repliée sur elle-même, mais qui parviendra à renouer ses liens, fût-ce au prix fort.
© Wonge Bergmann

Un spectacle tissé de temps faibles, de moments suspendus et de fulgurances, parfois de grâce, emportant le spectateur dans un maelström de sentiments contraires et de sensations paradoxales. Fredaines doucereuses s’entremêlant à une douleur insoutenable, costumes colorés pour une œuvre au noir, touches surréalistes dans un écheveau de situations dramatiques : Jan Lauwers joue pleinement sur les contrastes, comme pour suggérer que la vie n’est qu’une suite d’instants dissonants où il importe pour chacun de surnager. Une tragédie musicale – comme on parle de comédie musicale – où textes, marionnettes, musiques live, chants et chorégraphies convergent vers l’épilogue réconciliateur, «hommage à l’humanité dont les membres persistent à survivre, avec leurs joies et leurs peines, même lorsque les catastrophes s’enchaînent», selon les mots du metteur en scène.
© Wonge Bergmann

Si, comme souvent chez Jan Lauwers, le chaos semble gouverner le plateau, celui-ci – narrateur et de chef de la fanfare locale – supervise au plus près ce capharnaüm en trompe-l’oeil où une redoutable troupe de comédiens et performers complices, avec Grace Ellen Barkey à sa tête, peint brillamment l’abondante gamme de nuances associées à des personnages effrayants et pathétiques, généreux et touchants, humains après tout…

Représentations les 8, 9, 11, 12, 13, 15, 16 et 17 juillet à 22h au Cloître des Carmes à Avignon. Puis les 21 et 22 novembre à la Scène nationale de Sète.

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