Crimes et châtiments
Après La Chambre d’Isabella (2004), Le Bazar du homard (2006) et La Maison des cerfs (2009), le festival
d’Avignon présente la dernière création de Jan Lauwers, Place du marché 76, née de ses inquiétudes et indignations au
regard d’une Europe occidentale tentée par le repli identitaire. Un spectacle
d’une noirceur surprenante mais traversé d’une foi humaniste contagieuse.
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© Wonge Bergmann |
Articulé
en quatre actes comme autant de saisons rythmées par une couleur musicale
différente, Place du marché 76 raconte l'histoire d'un village
endeuillé par une explosion tragique sur la place du marché, provoquant la mort
de 24 personnes dont plusieurs enfants. Une communauté percutée par le deuil et
le chagrin mais qui devra affronter plus tard d’autres épreuves – l’inceste et
l’enlèvement, la pédophilie ou le suicide – et tentera de continuer à vivre,
après une tumultueuse tentative de psychanalyse collective où la parole se
libère et peut détruire.
Une tragédie musicale
Le
metteur en scène flamand aborde ainsi les questions sensibles de la souffrance
après une tragique disparition mais aussi celle du vivre-ensemble et des
conséquences indicibles du traumatisme au sein d’une communauté. Une fable
féroce, parfois drôle, où l’artiste s’interroge et nous tend le miroir de ses
doutes et colères. Qu’est-ce qu’un châtiment qui ne guérit pas les
blessures ? semble nous demander ainsi Jan Lauwers alors qu’un homme s’est
noyé dans la fontaine sous le regard indifférent des villageois. Une soif de
vengeance où se dessine en creux le pardon impossible d’une petite société
apeurée, repliée sur elle-même, mais qui parviendra à renouer ses liens, fût-ce
au prix fort.
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© Wonge Bergmann |
Un
spectacle tissé de temps faibles, de moments suspendus et de fulgurances,
parfois de grâce, emportant le spectateur dans un maelström de sentiments
contraires et de sensations paradoxales. Fredaines doucereuses s’entremêlant à
une douleur insoutenable, costumes colorés pour une œuvre au noir, touches
surréalistes dans un écheveau de situations dramatiques : Jan Lauwers joue
pleinement sur les contrastes, comme pour suggérer que la vie n’est qu’une
suite d’instants dissonants où il importe pour chacun de surnager. Une tragédie
musicale – comme on parle de comédie musicale – où textes, marionnettes,
musiques live, chants et chorégraphies convergent vers l’épilogue
réconciliateur, «hommage à l’humanité
dont les membres persistent à survivre, avec leurs joies et leurs peines, même
lorsque les catastrophes s’enchaînent», selon les mots du metteur en scène.
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© Wonge Bergmann |
Si,
comme souvent chez Jan Lauwers, le chaos semble gouverner le plateau, celui-ci –
narrateur et de chef de la fanfare locale – supervise au plus près ce
capharnaüm en trompe-l’oeil où une redoutable troupe de comédiens et performers
complices, avec Grace Ellen Barkey à sa tête, peint brillamment l’abondante
gamme de nuances associées à des personnages effrayants et pathétiques,
généreux et touchants, humains après tout…
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